Des Hommes et des bagnes
COLLIN Léon
Guyane et Nouvelle-Calédonie, un médecin au bagne (1907-1912)
En 2007, pour son quatrième ouvrage au catalogue, Libertalia rééditait La Vie des forçats (1930), du bagnard anarchiste Eugène Dieudonné, avec des illustrations de Thierry Guitard. En 2009, nous poursuivions dans cette veine avec la réédition de L’Enfer du bagne (1957), les souvenirs de Paul Roussenq « l’incorrigible », illustrés cette fois-ci par Laurent Maffre. Peu après, nous rééditions Chéri-Bibi et les cages flottantes avec des illustrations de Tôma Sickart, la fiction (1913) de Gaston Leroux, dont l’essentiel du récit se déroule sur un bateau en route vers le bagne.
Libertalia partage déjà une longue histoire avec les bagnards et les forçats, qui reflète notre rejet persistant de la société carcérale et notre empathie pour les marges.
Alors que nous envisagions de rééditer le rarissime et passionnant Un médecin au bagne, ouvrage du Docteur Louis Rousseau publié chez Fleury en 1930, Jean-Marc Delpech, auteur d’une thèse sur Alexandre Jacob (publiée aux ACL), préfacier de L’Enfer du bagne et coanimateur des éditions de la Pigne, nous a proposé un incroyable manuscrit absolument inédit : les souvenirs du Docteur Collin (1890-1970).
Retrouvés dans le grenier de la maison familiale par Philippe Collin, son petit-fils, ces deux carnets (qui comportent 146 clichés stupéfiants) relatent les années vécues par le jeune docteur aux côtés des forçats de Guyane puis de Nouvelle-Calédonie (de 1907 à 1912).
Quelques extraits seulement des notes du Dr Léon Collin ont paru dans la presse française de la Belle Époque et de l’entre-deux-guerres. Les deux cahiers relatant son expérience constituent pourtant un document historique fondamental et totalement inédit sur les prisons à ciel ouvert de la France coloniale, et sur les criminels que la métropole a cherché à éloigner. Muni d’un carnet et d’un appareil photographique, les simples souvenirs de voyage du jeune médecin se transforment progressivement en dénonciation alerte d’une réalité pénible à dire, à voir et à sentir. De la Guyane à la Nouvelle-Calédonie, le bagne c’est la mort, la souffrance et l’échec de toute une politique répressive et carcérale. Bien avant Albert Londres, et surtout à une époque où l’administration pénitentiaire règne en maître sur ces terres ultramarines, Léon Collin montre les existences des « hommes punis ». Des hommes… et des bagnes, une incroyable galerie de portraits, des célébrités (Manda, Ullmo, Soleilland, etc.), une foule d’anonymes aussi. Des espaces exotiques à couper le souffle. Mais, comme l’a écrit l’avocate Mireille Maroger en 1937 : « De ce paradis, les hommes ont fait un enfer. » De la création officielle du bagne en 1854 au dernier envoi de condamnés en 1938, ils furent plus de 100 000 à venir s’échouer sur ces terres de grande punition.
Le fonds photographique du docteur Léon Collin a été acquis par le musée Nicéphore-Niépce. Les clichés feront l’objet d’expositions en Guyane puis en Nouvelle-Calédonie.
Parce qu’il s’agit d’un document à caractère exceptionnel, Libertalia a choisi d’en faire un « beau livre » restituant le caractère initial des carnets : couverture en toile du Marais, marquage couleur, signet, coutures, et papier Munken Lynx.
Léon Collin est mort en 1970. Il a subi la boue des tranchées ; il a vécu la défaite de 1940 et l’occupation ; il a navigué sur toutes les mers du globe et a traversé la presque totalité de cet empire français où le soleil ne se couchait jamais. Il a 27 ans lorsqu’il débarque en Guyane en 1907. Il passera ensuite trois ans en Nouvelle-Calédonie, de 1910 à 1912. Rien pourtant ne prédisposait ce jeune médecin de l’armée coloniale, homme de son temps, un brin réactionnaire mais profondément humaniste, à affronter l’horreur du bagne. Qui aurait pu deviner que ce fils de négociant en vin serait marqué à vie par son expérience ?